Avec plus de 100h à mon compteur, je peux difficilement accuser Fallout 4 d'être un échec. Le masochisme a ses limites. Pourtant, j'en ai envie. Comment cela se fesse ?

La série des "Fallout" s'inscrit parmi les grandes légendes des C-RPG ^[1]^. Elle est réputée pour deux choses : la liberté absolue qu'elle offre  et son univers post-acopalyptique "far-west-canette-de-coca".

Cette réputation s'est forgée sur les deux premiers épisodes ^[2]^, développés par le regretté "Black Isle Studios" (pourquoi "s" à Studios ? On n'le saura jamais). Lorsque Bethesda Softworks (ou "Bethesda") a repris la licence en main, beaucoup craignaient l'arrivée d'un nouveau Fallout, bâtard entre ses ancêtres officiels et la série phare de ses nouveaux concepteurs, "The Elder Scrolls". En 2008, les craintes se confirmèrent. Autant Bethesda a su rendre hommage à l'aspect visuel de la saga, autant l'âme de celle-ci s'était clairement envolée. La société de Maryland n'a manifestement ni l'esprit transgressif et acéré, ni les idées de gameplay nécessaires pour reproduire les qualités des Fallout. Le résultat scinda les gamers en trois groupes : les déçus des Elder Scrolls, les déçus des Fallout, et les "on fait avec". À en croire la moyenne somme toute assez flatteuse de Fallout 3 sur senscritique, on peut dire que la majorité a néanmoins apprécié l'expérience. Pour ma part, j'ai trouvé le jeu fade et sans imagination.

Suite à Fallout 3, les gens de Bethesda ont eu un geste assez inhabituel : ils confièrent le développement d'un spin-off de Fallout 3 à Obsidian Entertainment ^[3]^ et se concentrèrent sur "The Elder Scrolls 5: Skyrim" dans lequel tout leur savoir-faire pouvait s'exprimer sans s'embarrasser du passif d'une série qu'ils ne maîtrisaient pas. C'est comme s'ils avaient reconnu leurs propres limites. "Fallout: New Vegas", ledit spin-off, connut un succès d'estime assez inattendu auprès des amateurs de C-RPG. Sa base technique reposait sur Fallout 3, mais son approche ludique était mâtinée d'une liberté d'action typique des deux premiers épisodes. Pour moi, c'était le deal idéal : chacun son domaine, chacun ses talents. Malheureusement, la cupidité de Bethesda et "un étrange coup d'malchance" d'Obsidian ont conduit à des relations tendues entre les deux studios. Résultat : il n'est que peu probable qu'une telle collaboration soit reconduite.

À l'E3 2015, Bethesda crée la surprise en annonçant "Fallout 4". Vu mon regain de respect pour le studio après un Skyrim très maîtrisé, j'y ai vu là une opportunité intéressante de se racheter, après un Fallout 3 hors sujet. Ont-ils embauché un/e scénariste digne de ce nom ? Ont-ils tiré des leçons de Game Design quand Obsidian leur a montré la voie sur leur propre moteur de jeu ? J'avais quelques espoirs à ce sujet. Dans le pire des cas, j'allais me retrouver avec un "proto-Elder Scrolls" et ça, c'est toujours "acceptable".

Dommage qu'en fin de compte, le jeu n'ait jamais dépassé ce stade.


Tout démarre avec une vidéo hors contexte, bien trop sérieuse : un bon soldat américain nous raconte le background des Fallout. Malgré le ton, je dois admettre que cette présentation des événements fondateurs de la série est vraiment bienvenue. Les premières minutes de jeu sont similaires à celles de Fallout 3, en ceci que la création de personnage est contextualisée ^[4]^ et qu'on vous bassine avec une histoire familiale. Jouer quelques instants dans l'Amériques pré-2077 a du charme, mais on sent quand même une redite par rapport au précédent épisode.

Une fois le tutoriel passé, la triste vérité ne prend guère de temps pour sauter aux yeux : non seulement la repompe des mécanismes de Fallout 3 et de Skyrim est complète, mais Bethesda ne se donne même plus la peine d'imiter du Fallout. Pour résumer le problème, je ne pourrais que citer l'excellent commentaire de Goodlifer, sur Factornews :

[...] En y repensant, je pense que Bethesda est assez à l'aise avec le fait d'avoir viré ce qui était spécifique à Fallout. Vous vouliez de l'humour, à la place on vous fait une simulation de construction de campements (et outre le fait que c'est à chier sur clavier/souris, l'intérêt de ces camps m'est un peu obscure). Vous vouliez des choix un peu moraux ? On va plutôt supprimer le karma et vous faire nettoyer des usines SURPEUPLÉES de raiders. Vous aimiez bien le début d'un Fallout où on galère un peu à buter des fourmis géantes et des rats ? On vous file une armure de combat dans les 20 premières minutes du jeu pour buter un Deathclaw à la gattling...
Oh, et vous emmerdez pas à équilibrer un perso négociation/chance/tir, ça ne sert à rien car 1/la négociation est inutile 2/les armes fonctionnent comme dans un FPS sans prendre en compte les skills SPECIAL. - Goodlifer

Le bourrinisme atteint vite son paroxysme (surtout si vous vous acoquinez avec la Confrérie de l’Acier et ses Rosses Zarmures !!!) : on mitraille à tout va, uniquement ralenti par le poids maximal des cochonneries que notre personnage peut porter sur soi. Notez que pour une fois, jeter ses ordures est gageur, puisque tout objet peut potentiellement servir à construire des bâtiments (ou des modifications d'armes et de zarmures). Quant aux compagnons, ils vont du « transparent » au « correct, sans plus ». Pas vraiment de quoi stimuler l’envie de découvrir leur background. Pareil pour les factions, trop caricaturales et impossible à influencer, contrairement à celles de New Vegas. Mais puisque la montée en puissance s'avère grisante et que les terres désolées sont finalement assez plaisantes à explorer, on se laisse malgré tout prendre au jeu. Les heures filent tout naturellement, comme avec tout bon "Elder Scrolls". À ce stade de la lecture, se pose une question essentielle : comment aimer Skyrim tout en trouvant Fallout 4 aussi plat qu'un Brahmin écrasé par un Écorcheur ? Formuler une réponse est difficile, tant les deux jeux se ressemblent en apparence. Et pourtant, le diable est dans le détail ! Skyrim dispose d'une topographie variée (montagnes, tundra, plaines verdoyantes, zone enneigée, ...) et de 9 villes dont la plus petite est au moins aussi grande que les deux pauvres cités de Fallout 4. L'exploration et les "relations sociales" prennent ainsi plus d'ampleur dans le dernier Elder Scrolls. À l'inverse, les premiers pas de Fallout 4 se résume à shooter des insectes, quitter la zone, shooter insérer ici le nom d'un ennemi lambda, pénétrer jusqu'à un "point d'intérêt" indiqué sur la carte, shooter *insérer ici le nom de l'ennemi squattant le "point d'intérêt" (Goules ou Raiders, généralement), atteindre Boston, shooter insérer ici le nom d'un ennemi random, monter de niveau, entrer dans un bâtiment quelconque et shooter ses habitants. Les quelques escales à Goodneighbor ou Diamond City ne font pas le poids face à toutes ces heures de dégommage décérébré.

C'est vers 40-50h de jeu que le vide intersidéral de Fallout 4 s'impose, bien plus qu'avec n'importe quel autre jeu Bethesda. Cette fois-ci, on ne se contente pas de vider des lieux qui se ressemblent. Oh non ! On vide plusieurs fois le même lieu, recyclé à outrance. Le jeu vous envoie souvent si vite deux fois au même endroit que les ennemis n'ont pas le temps de "repousser" : vous vous contenterez alors de foncer vers l'objectif et de cliquer sur le PNJ à libérer / le monstre solitaire à dégommer. Dans ces situations, vous passerez plus de temps devant des écrans de chargement entre deux fast-travels qu'à jouer proprement dit. Comment ? Oui, il y a un problème. Un gros problème. Les promesses de montée en puissance, qui suscitaient tant d'entrain au début, sonnent désormais creux. Fallout 4 est passé du stade "Burger King" au stade "vieux Chewing Gum" : on mâche un truc sans goût en espérant vainement y trouver quelques satisfactions. Desespéré, on se replonge dans la quête principale, pour découvrir avec surprise que sa dernière courte ligne droite fonctionne complètement différemment des premières (dizaines) d'heures : tous les PNJ importants peuvent être éliminés au bon vouloir (précipitant la fin du jeu, généralement), les jeux d'alliance sont possibles et réaliser certaines quêtes avant d'autres ouvrent de nouvelles possibilités. C'est comme si cette partie du jeu n'avait pas été écrite par les mêmes personnes. Dommage que ça ne dure que quelques heures : là encore, pas suffisamment pour contrebalancer tout le temps perdu sur le "champ de bataille perpétuelle".

Même les dialogues se sont Mass-Effectisés. Pour le meilleur et pour le pire. 

Un studio qui se fourvoie, des critiques élogieuses, un succès commercial présent, le tout au détriment d'une base de fans qui râle : tels sont les éléments qui ont plongé Bioware dans un cycle de médiocrité vers fin 2009. Bethesda pourrait bien suivre le même chemin. J'appelle ça le "syndrome Mass Effect 2". Cette biowarisation surprise touche même les dialogues, puisque le système a été refondu pour ressembler à celui de Mass Effect : on sélectionne des concepts plutôt que des réponses complètes, le protagoniste (entièrement doublé, une première !) se permet une improvisation théâtrale vaguement en lien avec la réponse choisie. Mass Effect, c'était en 2007. À l'époque, ça pouvait impressionner. Aujourd'hui, Bethesda fait figure de retardataire qui se joint à la fête en catimini.

J'espère sincèrement que Bethesda réalisera son erreur avant de passer par une phase aussi sinistre que celle de Bioware entre 2009 et 2014. À défaut, les mods pourront - encore une fois - compenser les faiblesses de la série "Elder Scrolls" Fallout.


  1. Computer-Roleplaying Games
  2. Sortis respectivement en 1997 et 1998
  3. Entreprise fondée par des anciens de Black Isle Studios
  4. Le visage se travaille devant le miroir, les stats se définissent dans un questionnaire Vault Tec, ...