Après le compte-rendu d'un One-shot de Wulin et la republication de nos résumés de la campagne Tianxia, voici venu le temps de donner un avis sur "Qin - les Royaumes Combattants", chez le 7ème Cercle. J'espère qu'il vous semblera éclairé.


2005 fut une année assez surprenante pour les rôlistes amoureux de Wuxia Piàn. Jusque-là, la sphère rôlistique ne s'était que peu intéressée à la Chine comme terrain de jeu exclusif : on avait bien plusieurs titres plus ou moins inspirés du Japon ("Bushido", "Legends of the Five Rings", "Sengoku"), au moins un système Kung-Fu ("Feng Shui"), des suppléments de gammes génériques qui s'intéressaient vaguement à l'Empire du Milieu. Mais jamais rien de purement "chinois", tant dans les mécanismes que dans l'ambiance. C'est dans ce paysage ludique que naissent deux jeux de rôle francophones portant sur la Chine et les Wuxia. Leur nom ? "Qin - Les Royaumes Combattants" (généralement appelé "Qin" dans la suite de cet article, quitte à provoquer quelques confusions avec la dynastie éponyme) et "Wuxia" (c'est plus simple à écrire). Sur les bons conseils de Midori et suite à une courte discussion sur Au fil du jeu, je me procure Qin vers fin 2005. Cinq ans plus tard, notre groupe boucle la campagne officielle proposée dans la gamme du jeu. Cette prouesse constitue suffisamment d'expérience pour porter un regard averti sur ce jeu.

Couverture du livre de base "Qin - les Royaumes Combattants", aux Éditions du 7ème Cercle. Illustration par Aleksi Briclot et "Florrent".

L'Histoire

À l'origine, la gamme "Qin" aurait dû proposer différents cadres de jeu historiques. Finalement, seules deux périodes furent traitées - les "Royaumes Combattants" (de ~500 à 221 avant J.-C.) et "Shaolin & Wudang" (début de la dynastie Qing, 16-17ème siècle). Sans surprise, la première gamme concerne... les Royaumes Combattants. À cette époque, le concept de "Chine" n'existait que très vaguement sous la dénomination de "Zhongguo"[1]. Ce Zhongguo connaissait une impressionnante effervescence intellectuelle, l'amenant à se moderniser à une vitesse ahurissante sous l'impulsion de ses conflits internes. Dans ce contexte, le royaume occidental du Qin se démarque. Ses conquêtes territoriales se succèdent et bientôt, nul ne peut plus douter de sa capacité à unifier les terres de l'ancien Empire Zhou. Entre modernité et traditions, uniformisation et diversité, les joueurs incarnent des héros qui doivent faire leurs preuves, comme tout bon protagoniste de Wuxia Piàn.

Le livre de base et ses suppléments sont des mines d'informations. De l'architecture au calendrier, en passant par les philosophies et la géographie du territoire chinois, les auteurs ont su brosser un aperçu complet de la société de l'époque sans le rendre indigeste. Certes, il demeurera fatalement des interrogations sur le fonctionnement d'une société aussi distante de la nôtre, mais le contenu du livre de base suffit amplement à rendre un feeling convaincant. Je regrette juste deux choses :

  • La différenciation un peu forcée des différents royaumes. Pour donner des couleurs au Zhongguo, les auteurs ont manifestement voulu grossir certaines différences culturelles plus que de raison (Qi = culture, Zhao = cavalerie, Han = diplomatie, Wei = religion).
  • Certaines approximations. Il me semble (sans être un expert de la question) que certaines coutumes et croyances présentées dans le livre n'ont vu le jour qu'après les Royaumes Combattants.

Les mécaniques

Au niveau des règles, Qin est d'apparence classique, fluide et volontairement light (par opposition au simulationnisme ou aux systèmes complexes). En vérité, si la fluidité et la légèreté sont bien au rendez-vous, on constate tout de même une myriade de petits détails qui permettent au jeu de se démarquer. À mon sens, l'idée la plus forte repose sur l'utilisation d'un différentiel entre deux D10 comme base pour tout test (un dé noir - le yin - et un dé blanc - le yang). On ajoute le résultat du différentiel aux score de compétence et d'attribut du personnage, avec pour objectif de dépasser un "seuil de réussite"(SR) généralement fixé entre 7 et 15. L'utilisation du différentiel réduit beaucoup l'aléatoire, puisque les chances d'obtenir un résultat de 1 sont largement plus grandes que celles d'obtenir 9. Avec des couples compétences + attributs qui tournent autour de 7-8 pour des personnages compétents, le résultat du dé n'a qu'une importance marginale. Au moment d'entreprendre une action, une joueuse sait plus ou moins à quel résultat s'attendre. Elle reste donc aux commandes du destin de son personnage, bien qu'une surprise ne soit pas à exclure. Cette surprise sera généralement bonne - puisque les doubles allant de 1 à 9 sont des réussites automatiques plus ou moins brillantes. Reste alors la peur du croque-mitaine - l'échec critique sur un double 0 - dont la faible probabilité d'apparition limite l'impact.

Afin de pimenter un peu l'action, les personnages disposent d'une réserve de points de Chi qui s'utilisent soit pour activer des pouvoirs héroïques, soit pour améliorer les chances de réussite d'un jet. La gestion de ces points, qui revient intégralement aux joueurs, est un levier stratégique intéressant. Un Wuxia en pleine forme pourra toujours s'assurer la réussite d'une action, à raison de quelques points de Chi. Ce n'est qu'une fois épuisé qu'il sera à la merci du hasard. Un peu à la manière du système Gumshoe, le tout est de gérer ses points, de les utiliser à bon escient pour ne pas se fatiguer.

Autre chose. Ne nous voilons pas la face : pour une partie non négligeable des rôlistes, gérer l'évolution de son personnage parmi une montagne d'options, de compétences et de chiffres reste une expérience assez grisante. Le succès du système D20 en est la preuve. Bien que légers, les mécanismes de Qin parviennent tout de même à préserver ce sentiment de montée en puissance et de personnalisation de son héros, grâce à une liste honorable de pouvoirs et d'options de jeu. Un mélange harmonieux entre richesse et simplicité.

Pardonnez-moi encore ces quelques fleurs : Qin est un jeu de Wuxia, d'où un système de combat qui tient la route. J'ai souvenir d'un duel entre deux personnages, uniquement décrit à l'aide des manœuvres martiales proposées dans le livre de règle. "Il te charge avec vigueur en poussant son cri de guerre". "J'effectue une parade tournoyante pour dévier sa lame et la retourner contre lui". "Depuis le sol, j'essaie de saisir ses jambes pour le projeter par terre". Au sortir du combat, les joueurs avaient assisté à une joute formidable sans avoir consciemment fait l'effort de décrire leurs actions : utiliser le vaste éventail des possibilités du système est suffisant pour rendre le récit vivant, pour soutenir la narration. C'est là toute la finesse du système de Qin, qui dépassait le cadre du fonctionnel pour atteindre l'excellence sans pour autant avancer d'idées à priori révolutionnaires.

Qui aime bien, châtie bien. Après tous ces compliments, je ne peux que pointer du doigt les quelques limitations du système rencontrées au cours de nos parties. La plus frustrante vient du coût des compétences : booster son score d'escrime, de taoïsme ou ses Tao offre des avantages largement supérieurs à l'augmentation d'une compétence "classique". Dans les deux cas, le coût en expérience est identique. Bon nombre de joueurs se laissaient tenter par l'envie d'améliorer les talents martiaux des personnages, plutôt que d'investir dans des compétences normales. Ce problème, soulevé à de nombreuses reprises sur les forums de Qin, a été un peu trop facilement balayé par les auteurs. Pour eux, tout était une question de roleplay : un joueur respectueux de son personnage fera en sorte de lui attribuer les compétences qu'il mérite. Ils insistaient en outre sur la reconnaissance sociale que peut apporter la maîtrise d'une compétence. Dans notre groupe, j'ai tout tenté : le roleplay, la limitation du SR maximal en fonction du score de compétence, l'attribution de capacités spéciales en fonction du niveau de compétence (à la Legends of the Five Rings), mais rien ne fut réellement concluant. Soit les mécanismes étaient trop lourds, soit ils validaient difficilement l'investissement des joueurs dans les compétences classiques.

Au registre des petits défauts que notre groupe a fini par "patcher", citons le fait que de base, il n'est pas possible d'utiliser une manœuvre martiale sans l'apprendre au préalable. En combat, lorsque vous demandez à vos joueurs de décrire leurs actions, il leur arrivera pourtant naturellement de faire appel à ces manœuvres. "Je me saisis du soldat pour le projeter par-dessus la tour" est une action vraisemblable qu'un personnage ne maîtrisant pas la manœuvre "projection" pourrait vouloir utiliser. À partir de là, soit vous lui permettez l'action au risque de dévaluer tous les personnages ayant acquis la bonne manœuvre, soit vous la lui interdisez au risque de limiter le roleplay à cause du système de règles. À côté de ça, on trouvait aussi quelques légers déséquilibres dans le système. La compétence "Improvisation" n'est pas mécaniquement intéressante, puisque "Boxe" ouvre au moins l'accès à des manœuvres (problème réglé en ajoutant des dégâts en fonction des objets utilisés). Les personnages "réservoir à Chi" permettent de concurrencer, au besoin, des personnages spécialisés dans d'autres domaines (problème réglé en limitant le nombre de points de Chi utilisables au cours d'un test sans la compétence idoine). Aussi, la création de personnage permet d'optimiser assez violemment ses attributs. Si par exemple, vous donnez à un nouveau personnage un certain nombre d'XP pour rattraper les autres, il est facile de tirer profit des tarifs très différents entre la création du personnage et son évolution par l'expérience (coût fixe d'augmentation des attributs à la création, coût dépendant du niveau avec l'expérience). Tous ces problèmes relèvent du détail et peuvent être aisément améliorés.

Le mot de la fin, c'est qu'il existe bien quelques défauts ternissant les règles de Qin, mais rien qui n'empêche de l'apprécier pour ce qu'il est : un système bien rôdé, discret et efficace.

La gamme

Un exemple des extraordinaires illustrations d'Aleski Briclot, qui parsème tous les ouvrages de la gamme. ©7ème Cercle

Qin a opté pour un business model qui a manifestement fait mouche, tout en restant globalement équitable pour son public : une demi-douzaine d'ouvrages, publiés sur plus de deux ans. D'autres périodes de jeu auraient dû pérenniser la gamme, mais le projet a été abandonné pour des raisons que j'ignore. Tous les ouvrages de la gamme ont cette capacité à insuffler directement des idées de situations par la simple lecture ; il faut remercier pour ça la passion des auteurs. En plus d'une qualité de texte exemplaire, des illustrations réussies et cohérentes agrémentent les pages, en particulier celles des archétypes du livre de base qui ont décroché plus d'une mâchoire. En revanche, on peut grimacer devant une maquette peut-être trop… beige pour plaire à tout le monde (texte brun sur fond beige, en fait).

Les auteurs ont souvent été critiqués pour un certain manque d'organisation. Parmi les problèmes les plus courants, l'absence d'index leur a été reproché à de nombreuses reprises. Rajoutez également que les caractéristiques chiffrées des PNJ sont rares, et vous aurez de quoi faire fuir les habitués de Donjons & Dragons. Reste que ces défauts - qui relèvent sans doute d'un parti pris - ne m'ont jamais empêché de masteriser. Pourtant, Dieu sait que je suis bordélique.

So long, Zhongguo...

Cette année, Qin fête ses dix ans. Voilà quelques temps déjà que le trouver en boutique se révèle gageur. Certains PDF de la version originale et l'intégrale de la traduction anglaise peuvent être trouvés sur des sites comme RPGnow. En ligne, rares sont les gens qui parlent encore du jeu : il s'en est allé sans un mot, alors que le 7ème Cercle a stoppé l'édition de la gamme "Shaolin & Wudang". En regardant la longévité de jeux comme "L'Appel de Cthulhu", on ne peut qu'être tristes de voir qu'une perle comme Qin s'évapore si rapidement.

Alors, si vous le voulez bien, levons nos verres et dégustons des pêches en mémoire de ce pilier du jeu de rôle Wuxia que fut - et que demeure - "Qin - les Royaumes Combattants".


  1. L'"Empire du Milieu", qui regroupait les territoires autrefois affilié à l'Empire Zhou.