La gamme Anima : Beyond Fantasy, c'est un sujet complexe. L'Anima Studio a de l'ambition et ça fait plaisir à voir : rares sont les gens qui démarrent un jeu de figures (Anima Tactics, désormais abandonné), un jeu de cartes non collectionnables (Anima : The Card Game) et un jeu de rôle en même temps. Ça, c'est sans parler des romans et des deux projets de jeux vidéo qui ont été lancés par la suite, Anima: Ark of Sinners et Anima: Gate of Memories. Malheureusement, seules trois personnes sont impliquées dans tous ces projets : cela se ressent sur la qualité et le suivi de leurs productions.

Cet article traite du jeu de rôle Anima : Beyond Fantasy, avec lequel notre groupe a pu passer une cinquantaine de séances étalées sur deux ans.


Stacey at a Waterfall, by Wen M. Un bel exemple du type d'illustrations dont bénéficie la gamme Anima. (Image by © Wen M, under Fair Use)

La forme

Concernant le JdR, plus précisément, l'idée de base est de faire revivre le bon vieux système de Rolemaster, agrémenté de quelques idées novatrices et d'un arrière-goût "manga" / "super-héroïque". Bien que les règles soient présentées comme potentiellement génériques, un univers très Final Fantasy-friendly est également proposé, avec son royaume gigantesque, ses villes démesurées, son niveau technologique variable et ses factions secrètes manipulées par des types manipulés par d'autres types.

Côté ouvrage, on a du gros bouquin pas sobre du tout. Papier glacé, peu avare en illustrations, globalement très chargé. Si beaucoup adorent, certains trouvent que ça fait "too much". Pour ma part, j'apprécie le soin, même si une mise en page plus humble n'aurait pas été du luxe. À ce sujet, l'illustrateur principal de la gamme Anima : Beyond Fantasy s'appelle Wen M. Il propose de nombreuses déviations sur son compte DeviantArt.

Le système

Vous l'aurez deviné : le gros morceau de l'ouvrage, c'est le système de jeu. Celui-ci est fréquemment décrié par bon nombre de rôlistes, notamment parce qu'il va à contre-courant du "les règles, c'est le mal" - cette mode qui prédomine depuis pas mal de temps dans le monde merveilleux des jeux de rôle. Au menu, on trouve exactement ce que les auteurs nous avaient promis : du Rolemaster allégé, saupoudré d'idées et de règles propres à retranscrire une ambiance Saint Seya ou Final Fantasy.

Concrètement, Anima : Beyond Fantasy propose un système D100 classique, avec classes et niveaux. Les joueurs pourront créer leurs personnages à l'aide des vingt classes pré-établies (dont des hybrides), bien que celles-ci ne les contraignent pas à un rôle prédéfini (même si c'est dur, un personnage peut toujours investir ses points dans des disciplines peu adaptées à sa classe). Près de la moitié de l'ouvrage est consacré à la description des différents pouvoirs surnaturels auxquels pourront faire appel les PJs et leurs adversaires. On nous offre quatre types de pouvoirs : Magie, Invocation, Ki et Disciplines Psychiques. C'est copieux, d'autant que les mécanismes varient beaucoup d'un type à un autre : les sorciers emmagasinent du pouvoir pour lancer leurs sorts, qui réussissent à tous les coups ; les mentalistes utilsent des "attaches" pour déclencher leurs pouvoirs, dont un jet de dé scelle le degré de réussite ; les adeptes du Ki boostent leurs attaques physiques en concentrant leur énergie interne. Bref, chaque personnage fait sa petite soupe. Un délice pour les joueurs, un enfer pour les MJ. En marge des pouvoirs, Anima : Beyond Fantasy se veut simulationniste, avec des règles pour à peu près tout ce qu'on peut imaginer (chute, dégâts d'électricité, cassage de porte, parade, manœuvres martiales, ...).

Si on met de côté la table des dégâts absolument imbuvable, tout finit par tourner plutôt bien au bout de 3-4 séances. J'ai trouvé le système d'Anima loin d'être aussi frustrant que son inspiration principale. Il permet aux joueurs de se créer des PJ sympathiques aux pouvoirs monstrueux et ce, sans les restreindre au nom d'un sacro-saint "équilibre" qui n'existe que dans la tête de ses concepteurs. Le fait que chaque type de pouvoirs se gère différemment leur donne une saveur unique, d'autant que leur description est suffisamment large pour permettre une utilisation tant martiale que hors combat.

En définitive, le système m'a vraiment plu, et mon personnage - le plus omnipotent que j'ai jamais interprété - me manquera probablement pas mal.

Gaia

C'est lorsqu'on aborde Gaïa - l'univers de jeu - que le bât blesse. Derrière un voile de "mystères mystérieux" tous plus "obscurs les uns que les autres", on se rend compte qu'il n'y a finalement pas grand chose à se mettre sous la dent : les factions sont si secrètes et si puissantes que les PJ auront bien du mal à influencer, les PNJ importants sont animés par des motifs jamais expliqués (on nous dit juste "attention, ce mec-là, c'est un caïd, il a un grand projet pour Gaïa, mais nul ne sait de quoi il s'agit !") et la sympathique ribambelle de cités et de régions aurait gagné à être mieux développée. En l'état, on ne peut même pas dire qu'on dispose d'un squelette sur lequel construire un monde :  il serait plus juste de dire qu'on a l'épiderme sans les os.

À côté de ça, il n'existe qu'un seul scénario officiel et aucune campagne. Heureusement, il est possible de compter sur la communauté très active d'Anima pour compenser ce manque. Les auteurs ont expliqué leur position en déclarant que ne pas développer l'univers "laisse les MJ se créer leur propre Gaïa". Il s'agit à mon sens d'une (grave) erreur : fournir un contexte de référence n'impose rien aux maîtres de jeu. Les livres de jeu de rôle sont, par définition, des boites à outils desquels il est possible de ne pas tout prendre. On pourrait croire qu'il s'agit d'une main tendue vers les MJ débutantes, supposément peu habituées à sélectionner les informations pertinentes, mais celles-ci ne pourront de toute façon rien retirer d'un contexte aussi étiolé.

Résultat des courses assez inhabituel : un système qui m'a plu un univers malencontreusement peu exploitable. Fort heureusement, avec un MJ imaginatif, il y a tout de même moyen de bien s'amuser, comme le prouve la campagne d'environ 50 séances que mon groupe vient de boucler.


Campagnus... nostrum. Ou nostrus.

Le groupe de l'OTS comptait initialement Izanami, Eagle, Flix et moi. Se sont ensuite jointes au groupe Lucille et PicaLudica. Ddril menait la barque.
Deux particularités pour cette campagne :

  • Elle prenait la succession de nos tests sur Contes Ensorcelés. Ddril a donc dû jongler pour justifier comment la Pièce-Monde existait dans l'Univers de Gaia. Dans notre campagne, la Pièce-Monde prenait la forme d'une organisation secrète financée par Abel pour entraîner les enfants bénéficiant d prédispositions particulières vis-à-vis du surnaturel.
  • Les PJs ont été pensés dès le départ pour du super-héroïque, d'où des caractéristiques très élevées pour les personnages. Notre groupe a joué le seul scénario officiel d'Anima, puis Ddril nous a fait nous balader dans une bonne partie du Vieux Monde. Le final a mis en scène la chute de la Pièce-Monde, cible d'une conspiration du Wissenschaft. Une fois la fourberie exposée, notre groupe s'allia - à contre coeur - avec l'Alliance Azure pour attaquer le Comté de Lucrecio. Lucanor négocia la possibilité de se replier vers le Nouveau Continent en l'échange de ses efforts pour nous aider à reconstruire la Pièce-Monde.

Deuxième édition

En 2013, une nouvelle édition d'Anima : Beyond Fantasy a été publiée. Elle contient entre autres des révisions concernant le système de combat. Si le jeu n'a pas trop changé, cette nouvelle édition constitue-t-elle un achat essentiel pour qui possède déjà la V1 ?
Réponse : non. Pour deux raisons.

  • Le contenu du livre est identique à 95% : les informations de background n'ont pas bougé d'un poil et presque toutes les règles restent valables.
  • Les modifications concernant le système de combat nous débarrassent du redoutable tableau des dégâts. Certes, ce tableau constituait le pire aspect d'Anima. Mais ce faisant, les nouvelles règles nous imposent un calcul mental supplémentaire. Il faudra tester ça dans l'action, mais j'ai l'impression qu'on y perd au change. Plutôt que de se concentrer sur la chasse au "tableau maudit", il aurait sans doute été plus pertinent de se focaliser sur la lourdeur du calcul global.

La conclusion s'impose d'elle-même : si vous possédez déjà la première édition d'Anima : Beyond Fantasy, il n'y a aucune raison de payer pour cette nouvelle version. Quant à celles et ceux qui n'ont pas encore tenté l'expérience, cette nouvelle édition reste aussi recommandable que la précédente.