Après notre campagne de Conan: Shadow of the Sorcerer, j'ai voulu enchaîner avec un autre univers plus "antique" que "fantasy" : Jackals: Bronze Age Fantasy Roleplaying. Ce jeu nous invite dans un âge de bronze fantastique, où les humains reprennent possession d'une région devenue hostile tant par sa nature inhospitalière et ses bêtes sauvages, que par les infâmes abominations qui hantent encore ses recoins. Du nord au sud, la Route de la Guerre relie les deux extrémités du Zaharet, sorte de Canaan fantasmé. Et parmi celles et ceux qui l'arpentent, les Chacals sont des parias mercenaires, tant craints qu'adulés pour leur courage et leur volonté de repousser les limites de la civilisation. Évidemment, les PJ en font partie.

Osprey Publishing entretient une gamme de jeux de rôle assez sympathique. Petit format, mise en page léchée, concepts souvent intéressants : les qualités ne manquent pas. J'ai découvert la gamme avec l'excellent Paleomythic, puis enchaîné avec l'audacieux Righteous Blood, Ruthless Blades et nous voici maintenant avec Jackals. D'autres ont suivi, bien qu'ils ne m'ont pas autant marqué. La particularité de Jackals tient à son suivi de gamme : une campagne et un supplément de contexte sont sur les étales. J'espère que d'autres ouvrages vont suivre, même si les années qui nous séparent de la dernière publication ne laissent que peu d'espoir.‌

Parlons plastique

Sur la forme, Jackals se présente comme un livre petit format en couleur de 272 pages, pour un peu plus de 90'000 mots (contre 250'000 pour une grosse production comme Héros & Dragons ou 198'000 pour Rêve de Dragon). Sa campagne, Fall of the Children of Bronze, suit le même tracé avec ses 240 pages. Le supplément de contexte, Travellers on the War Road, ne fait cependant que 144 pages, à l'instar de la majorité des dernières productions de l'éditeur depuis l'augmentation du prix du papier. Leurs versions électroniques ont le bon goût d'être proprement indexées jusqu'aux titres de deuxième niveau. Certes, ce traitement commence à devenir une norme, mais bon nombre d'éditeurs ont toujours du mal à s'y mettre. Malheureusement, les illustrations de Jackals sont un poil rares et génériques - trop pour son propre bien - bien qu'elles reçoivent l'appui de cartes et de plans lorsque le besoin se fait ressentir : on profite d'une carte synthétique du Zaharet, tout comme de ses deux extrémités, alors que les scénarios (3 aventures dans le livre de base) bénéficient d'un plan de leur zone la plus importante (souvent un donjon, ou une ville). En ce qui concerne la campagne, la moitié des scénarios disposent de 1-2 plans, agrémentés de quelques illustrations ça et là pour donner corps aux moments-clés des aventures. En considérant qu'il s'agit d'une petite production, Jackals s'en sort donc honnêtement.

Une idée de la taille de l'ouvrage

Il m'est toujours difficile de parler de la qualité d'un texte anglais, mais à défaut d'en offrir une perspective formelle, je suis heureux de dire que ma lecture fut rapide et soutenue (2-3 sessions de quelques heures), prouvant non seulement que le texte se lit vite, mais qu'il flatte suffisamment l'imaginaire pour en vouloir toujours plus. Certes, une poignée de typos entachent un peu le tableau, mais rien qui ne me semble réellement rédhibitoire.

Exemple de mise en page. Boulot propre, professionnel, rien à redire.

Le plus gros bémol porte sur l'organisation des informations au sein des ouvrages, qui ne fait légitimement pas l'unanimité auprès des lecteurs. L'auteur avance fréquemment des termes culturels dont la signification n'est pas immédiatement explicite, forçant souvent le lecteur à extrapoler, à consulter le glossaire de fin d'ouvrage ou à transiger avec sa compréhension du texte. En guise d'exemple, prenons le terme "Hulathi" : il nous est présenté dès la page 15, lorsqu'on nous explique que le "Hulathii" est la langue des "Hulathi" (rien à voir avec les "Luathi", attention !), puis il se voit réutilisé une dizaine de fois le long des quelques 140 pages qui le séparent de sa définition. On pourrait formuler le même reproche aux règles, puisque certains concepts mentionnés dans un chapitre donné ne sont parfois présentés que bien des pages plus tard. Il y a donc un petit sentiment de "version beta" qui s'échappe du livre, d'autant que certains noms de PNJ reviennent plusieurs fois pour des personnages différents, que certaines mentions du calendrier ne sont pas cohérentes, bref... apprêtez-vous à modifier quelques détails de-ci de-là si vous vous lancez. Honnêtement, il serait malavisé de lui en tenir rigueur. On a déjà vu bien pire.


L'univers de jeu

L'univers de Jackals voit la vie humaine reprendre péniblement ses droits. Terres arides, lieux inhospitaliers chargés de traces humaines antiques, monstruosités qui fondent sur les imprudents là où nul ne les entendra crier : les Chacals du Zaharet doivent repousser ces menaces et ouvrir de nouvelles perspectives à leurs congénères, au nom de l'Ordre et du progrès, alors que leur statut de parias leur vaut souvent la méfiance des petites gens comme des puissants. Vous l'aurez compris, la vie de Chacal se veut difficile et vos personnages n'auront que rarement l'occasion de se reposer sur des oreillers confortables ou de goûter à une vie de luxe. Et puisque défourailler fait partie de leur quotidien, il m'a vite semblé difficile d'envisager un PJ purement intellectuel ou social. Cette impression s'est confirmée au long de nos quelques 25 séances, où le personnage le moins minmaxé du groupe a pas mal souffert jusqu'à sa retraite (par "minmaxé", comprendre "qui n'a pas investi tous ses points dans les compétences survie, perception, "tapage de méchant" et volonté").

À l'époque du jeu, le Zaharet s'est fraîchement libéré du joug des Takan, un regroupement de créatures grotesques et (généralement) humanoïdes. Elles se sont échinées pendant leur règne à détruire toutes les traces d'histoire humaine sur le territoire, en particulier celles des Luathi. Un soulèvement plus tard, les Luathi désormais libérés œuvrent à redécouvrir leur passé pour reconstruire leur présent. Aujourd'hui, le Zaharet compte quatre ethnies humaines distinctes encore en activité :

  • Les Luathi, fortement inspirés par les Cananéens de l'Âge de Bronze, qui comptent l'essentiel de la population locale, répartis autour de deux métropoles au sud et au nord de la Route de la Guerre ;
  • Les Gerwa, fortement inspirés par les Égyptiens du Nouvel Empire, qui dirigent un royaume séculaire et rigide, retranché au sud du Zaharet avec lequel les relations ont toujours été difficiles ;
  • Les Melkoni, fortement inspirés par les Grecs mycéniens, qui établissent des colonies au nord ouest du Zaharet, poussés par leurs mythes héroïques et l'envie de s'enrichir ;
  • Les Trauj, fortement inspirés des tribus nomades de la péninsule arabe, qui défendent farouchement leur désert, en particulier contre les Takan en maraude.

Si les PJ descendent d'une de ces ethnies, d'autres cultures humaines ont marqué la région et continuent de le faire malgré leur disparition. Les mystères de leur effondrement sont rapidement esquissés dans le livre de base, et les Meutes à vocation archéologique auront de quoi travailler parmi les ruines.

Si l'on s'en tient au livre de base, la description des différentes cultures jouables reste un peu lacunaire, lorgnant plus volontiers vers l'american Fantasy que vers une reconstruction historique de l'Âge du Bronze. Or je fais partie de ces joueurs qui ont besoin d'autre chose que de lieux communs pour apprécier un univers, d'où une certaine déception. Il faudra se pencher sur les extensions pour obtenir des informations plus riches. Festivals, histoire, croyances, elles passent en revue pas mal de sujets qui donnent plus de goût à ce Canaan fantaisiste, même si les informations "de la vie courante" sont expédiées trop rapidement. Malgré tout, on obtient presque assez d'informations pour pouvoir donner vie à un Zaharet plus ou moins crédible, et rien n'empêche d'utiliser des informations venues des cultures historiques desquelles elles s'inspirent pour combler les trous (un joueur a joliment donné le change avec son poème d'adieu Gerwa, par exemple). Là encore, pour une petite création américaine, on peut saluer le travail.


Le système de règles

Il me semble clair qu'un gros travail a été réalisé sur le système de règles, baptisé Clash System par son auteur. Pour le qualifier en quelques mots, le système penche fortement vers le ludisme (selon la théorie de Ron Edwards, toujours utile quoiqu'en disent ses détracteurs). Il favorise la tactique et la croissance du personnage, qui s'articule essentiellement autour de ses facultés, en particulier martiales. Le jeu contient peu de matière pour inciter au roleplay (narrativisme), à l'exception de quelques questions à poser à la création du personnage, ainsi que d'une incitation à travailler sa "retraite" après un certain nombre de séances (cf. plus bas). Quelques mécaniques plus ou moins légères agrémentent le système de base, pour gérer la forge, le marchandage, ou encore le voyage, mais on parle d'une poignée de jets de dés - rien d'aussi poussé qu'un Rêve de Dragon, par exemple. Non, fondamentalement, dans Jackals, on casse du monstre. Tout tourne autour de ça.

La mécanique de base est on ne peut plus simple. Vos compétences sont notées sur 100, bien qu'elles puissent dépasser ce seuil (auquel cas elles bénéficient de talents spéciaux divers et variés pour chaque tranche de 20% additionnel). Pour effectuer un test, vous lancez 1d100 et devez obtenir un score égal ou inférieur à votre compétence. La meneuse peut imposer un malus (ou, plus rarement, un bonus) pour moduler vos chances de réussite. Les doubles (11, 22, 33, 44, etc) sont des critiques : une réussite critique si votre score de compétence est supérieur au résultat du dé, un échec critique sinon. Certaines caractéristiques particulières permettent de lancer 2d10 et de garder celui qui vous arrange le plus, ou de décaler votre résultat "d'un cran" en votre faveur (échec -> réussite, réussite -> réussite critique). Pour les combats, tous les personnages (alliés et ennemis) bénéficient de "Clash Points" qui peuvent être utilisés pour réaliser des actions spéciales, ou améliorer les actions de base. Ainsi, cette "méta-monnaie" constitue le nerf de la guerre (dans tous les sens du terme). Certains n'aiment pas les méta-monnaies. Moi, j'aime bien, d'autant que le Clash System n'est pas spécialement fastidieux à gérer.

La vie de la Meute s'intègre directement dans le système, puisque chaque saison, les Chacals ont droit chacun à une action saisonnière, qui simule leurs activités entre deux aventures. Récupérer des rumeurs, faire des recherches sur un sujet, dépenser des sous, mandater la création d'un objet sur-mesure, acheter une maison, faire de la lèche auprès d'un mécène... autant d'activités assez variées qui, là encore, sont expédiées par une dépense d'argent ainsi qu'un jet de dés rapide. Libre à vous d'étendre ces actions. Après 25 séances, je suis content de constater que ces petites séquences rythment efficacement les aventures des Chacals, et qu'elles débouchent naturellement sur des scénarios "légers" à intercaler entre les aventures de la campagne officielle. Plus les Chacals évoluent, plus leur réputation grandit et si les "gens bons" seront plus coopératifs, les forces du mal les considéreront comme une menace toujours plus pressante à éliminer. Ainsi, la brutalité des rencontres va s'accentuer, en se basant sur le Chacal le plus expérimenté du groupe. L'idée, c'est qu'au bout de bien des aventures, les personnages finiront par vouloir se "ranger" de leur existence nomade et passer à autre chose (pour ceux qui survivent assez longtemps). Ainsi, les Chacals retraités offrent des avantages à leurs successeurs, en particulier si leur joueur dédie une aventure, un texte ou un poème au départ de leur personnage.

J'ai été surpris par l'étendue tactique du système de combat, qui parvient à se renouveler même après 25 séances de jeu, moyennant un minimum d'efforts de la part du MJ. Bien sûr, on est très loin de mastodontes comme le D20 System, Pathfinder, Tales of the Valiant, ou même Savage World. Gardons à l'esprit que l'auteur est essentiellement seul pour bosser sur le Clash System (qu'il a d'ailleurs dérivé dans un jeu de rôle inspiré de Street of Rage, Urban Decay). C'est donc une belle réussite, même si j'ai un reproche majeur à formuler : clairement, les personnages sont là pour défourailler. Or le système agit comme s'ils avaient le choix. Il est possible d'ignorer les compétences de survie fondamentale du jeu pour en favoriser d'autres, certaines n'étant pas aussi proéminentes. On sent d'emblée la différence entre un personnage optimisé pour du cassage de gueule d'un autre pensé pour des intrigues ou de l'infiltration, alors que les scénarios officiels expédient généralement les parties d'enquête pour se focaliser sur les affrontements et le loot. En sus, le système offre assez peu de variantes pour les combats, au contraire du D20 System et de ses nombreuses classes et spécialisations. Il revient aux joueurs de créer des différences d'approche pour leurs personnages, que le système peine à retranscrire.


La campagne "Fall of the Children of Bronze"

La première campagne publiée pour la gamme s'intitule Fall of the Children of Bronze. Si elle pose les bases d'une suite, je ne suis pas sûr qu'on la verra de sitôt. J'espère me tromper !

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ATTENTION : les paragraphes qui suivent spoilent modérément la campagne discutée. J'essaie de limiter au possible les indiscrétions tout en restant informatif, mais je vous déconseille de lire cette section si vous souhaitez vivre la campagne du côté des Chacals.

Quoiqu'il en soit, Fall of the Chlidren of Bronze se déroule comme une "campagne-fleuve", une histoire s'écoulant sur un bon nombre d'années durant lesquelles la Meute de vos joueurs va récupérer des contrats au Nord et au Sud de la Route de la Guerre. Après quelques années, un événement bien particulier va changer le "long fleuve tranquille" de la vie des Chacals - un conflit qui s'insinue tranquillement au fil des saisons. Le final assez épique a le potentiel de changer la face du Zaharet pour les siècles à venir. Si l'on compte les trois scénarios du livre de base, dont un fait clairement office d'introduction à la campagne, l'ensemble représente plus d'une quinzaine de scénarios plutôt courts (environ 3h à 6h chacun). La campagne est clairement pensée pour laisser vos joueurs intégrer leurs propres aventures, à la OSR, afin d'étoffer un contenu déjà conséquent. Ainsi, à mesure que les enjeux augmentent au fil de l'intrigue, les joueurs voudront de plus en plus fréquemment prendre des initiatives pour conclure telle ou telle piste scénaristique (apparemment) laissée en friche. En parallèle, chaque année propose une série d'accroches qui ne demandent qu'à être développées. D'habitude, de tels paragraphes paresseux sont rédigés à la va-vite pour donner bonne conscience à leurs auteurs, mais là, certaines pistes vont altérer assez profondément la trame scénaristique, si bien qu'ils m'ont naturellement inspiré des complications que j'espère assez prenantes.

Fall of the Children of Bronze semble donc largement pensée pour être jouée sur une longue période, y compris "dans la vraie vie". En raison de notre agenda rôliste un peu trop chargé, je me vois presque "forcé" de limiter un peu les aventures "hors sentier", ce qui me semble presque contraire à la philosophie du jeu. Soyez donc prévenus : nous voilà en face d'une campagne de longue haleine, très personnalisable. Je prévois encore ~10 séances de notre côté, pour un total de 35 séances d'environ 3h chacune. Quelque chose de très similaire aux Masques de Nyarlathotep, donc, en gardant à l'esprit que nous nous hâtons. Pas mal, pour un petit bouquin de 240 pages !